Retour du Haut Queyras

25 janvier Reportages

Nous voilà de retour dans le quotidien de nos vies. C’est d’abord la route, puis la reprise du travail ou la rentrée, les courriels et les factures qui font l’actualité. Avec la rouille qui déjà pique de place en place les feuilles des arbres, l’automne n’est pas loin ; et bientôt le gris du ciel et les branches nues grelotant sous le froid vont gagner nos paysages. Mais pour quelques jours encore, le bronzage des visages alimentent les conversations. Devant les machines à café, les discussions vont bon train, chacun y allant de ses vacances estivales, et tant pis pour ceux qui ne sont pas partis et qui n’ont eu que le bout de leur jardin public comme rive de leur mer intérieure ou le mol vallonnement de leur cité pour sommet à conquérir.

Que tous se rassurent : avez-vous remarqué que, pour l’essentiel, nous sommes souvent seuls à pouvoir apprécier à leur juste valeur nos propres vacances ? Depuis que les voyages au loin, le jet-ski, les plages de sable blanc, les tours de ci ou de çà sont devenus, avec l’heureuse démocratisation des vacances, d’une affreuse banalité, il en faut une sacrée dose pour épater vos collègues de travail. Essayez donc de les faire entrer dans l’illumination de ce que vous avez vécu ! Et depuis que nos photos ne nous coûtent plus que le prix de l’appareil et le progrès du temps réel nous permet de découvrir à la seconde même le résultat de nos prises de vue, nous sommes noyés sous des milliers de clichés. Et cette surabondance a bien du mal à dire quelque chose de ce temps béni de l’été. Quel pensum lorsque vos amis décident, dans un élan de gentillesse à votre égard, de partager avec vous leurs photos de vacances !

Allez donc, dans ces conditions, partager les émotions de votre séjour dans le Queyras avec HCE ? Aussi belles soient vos photos, aussi passionnés ou enflammés soient vos propos, ce ne n’est pas ce bleu pur du ciel, ces innombrables sommets parsemés de plaques neiges sous le soleil, ces visages souriants figés sur leur surface plane qui pourront dire quelque chose de ces amitiés, de ces complicités qui en quelques heures, en quelques minutes se nouent dans l’effort, autour du bac à vaisselle éclairé par le faisceau de la lampe frontale et la joie d’avoir réussi là où nombre de nos contemporains n’auraient pas parié un kopek !

Il y a peu, nous ignorions tout les uns et des autres, et voilà qu’un melting-pot multicolore est en train de prendre dans le creuset bleu turquoise d’un lac de montagne, dans les lacets abruptes au souffle court. Qui pourra dire les ciels étoilés de nos bivouacs, le froid et la rosée des matins, nos quotidiens bousculés par la nécessité de venir en aide à celui qui ne bondit pas de son sac de couchage ? Celui-là pour qui, à la maison déjà, aller se coller le derrière sur une lunette de WC représente une expédition et qui là, choisit de ne pas avoir même une lunette de WC, pas même ce minimum qui s’appelle « eau chaude » et qui nous paraissait il y a peu si essentiel à notre bonheur. Ainsi, aux côtés d’autres, il se dépasse, transforme en un exploit à part entière le col Girardin de « seulement » 2699 m, la longue descente vers l’Ubaye où la pierraille et la fatigue des jambes et des bras tendent leurs pièges à la roue unique de ce drôle d’engin ?

Quels mots pourront traduire la sueur perlée des ascensions et la brise des sommets baignant la juste satisfaction de la victoire à deux, de celui qui marche et de celui qui ne marche pas, de celui qui voit et de l’autre qui ne voit pas ? Comment dire qu’ici, il ne peut y avoir d’exploit solitaire : il ne peut être que partagé, ce qui le rend inénarrable ! Crier que la solidarité que l’on voudrait nous faire croire partout en recul est ici première ! Rien sans elle de ce qui est, ne pourrait être !

Et d’ailleurs, qui cela intéressera-t-il seulement de savoir que Elodie et Stéphane se sont pliés en quatre durant des semaines pour que tout, durant ces quelques jours, tourne comme une horloge ? Ainsi, rien des contingences matérielles n’est venu troubler le sommeil des guerriers de l’altitude ; qui aura la prétention de raconter avec justesse tout cela, alors que chacun des prénoms de notre joyeux équipage résonnent en nous comme un doux souvenir ? « Il faut l’avoir vécu pour le croire », conclut justement Fabrice.

Nous sommes pourtant condamnés à trouver, puisant notre inspiration au fond de notre gobelet à café, les mots et les images pour encourager nos égaux à devenir les héros des séjours de demain pour qu’à leur tour ils constatent qu’aucun récit, aussi fiévreux soit-il, ne pourra jamais remplacer l’expérience de quelques jours où le sublime a sans doute était atteint…