« L’Ariège, ça monte, ça descend, ce n’est jamais plat »

25 janvier Reportages

 Dimanche 15 août : dans les nuages de Freychenet, au creux d’un pli de massif pyrénéen, une tente est montée, puis deux, puis trois. Dans l’une d’entre elles un trou est creusé dans un sol argileux et caillouteux. Mais quelle est donc cette assemblée secrète qui s’anime et se rassemble autour d’une grande table fumante de mets et de vins ? D’où vient-elle, que fait-elle, où ira-t-elle ?

« Les gorges mystérieuses de Péreille » (Lundi 16 août, Freychenet → Gorges de Péreille.) Dénivelé négatif : pas mal. Dénivelé positif : pas mal aussi. Le secret n’aura duré que le temps des présentations et de quelques hésitations. C’est Handi Cap Evasion qui étrenne un nouveau séjour sous la houlette de Stéphane Brangoleau, venu accompagné d’Audrey et de leur fille Pauline, même pas 2 ans et déjà des fourmis plein les jambes à l’idée d’accompagner la joyeuse troupe, présidée par Dominique, notre intendante. Les autres participants se prénomment, dans un ordre aléatoire : Loïc-Ludovic, Laetitia, Laurence, Jean-Jacques, René, Benoît, Alix, Charles, Paul Christophe, Flore, Arthur, Benjamin, Brigitte, François, Isabelle, Jeff et Annick (ces derniers sont nos gracieux hôtes de Freychenet), Orianne, Edouard, Sandrine et Sylvie.
Et l’âne dans tout ça ? Charlot ? laissé en chemin chez son propriétaire, après un Giro en Haute-Ubaye en demi-teinte, Mainon ? mis en retraite anticipé pour jeu déloyal, Inmenso ? de toue façon trop de route pour espérer fouler les Pyrénées. Bon, pas d’ami facétieux à sabots alors, et une organisation revue en conséquence.
Pour s’échauffer, on part marcher dans les gorges de Péreille (c’est presque pareil). Un nuage tout blanc nous protège des rayons traitres du soleil, et nous dévoile par petit bouts un sentier qui longe d’abord une rivière, s’infiltre dans une forêt mousseuse (ou bien doit-on dire « moussue » ?). Ça monte, ça descend, bref, nous sommes en Ariège, n’en déplaise aux esprits grincheux qui trouvaient que ça ressemblait beaucoup à la Suisse Normande. Le midi, on pause dans un hameau qui donne des envies de retraite spirituelle. On papote, on fait connaissance lorsque…ah le soleil !... ah non, des gouttes maintenant. C’est l’heure de monter en direction du château de Roquefixade, ses murs cathares accrochés à un piton de roc (que dis-je, c’est un pic). C’était dur pour l’apercevoir - « l’Ariège, ça monte, ça descend »……j’arrête - et, comme dans un rêve, à nos pieds, une vallée de pâtures façonnée par les hommes, les bêtes à cornes et le temps, se découvre bondieusement sous sa couverture laineuse. Au-dessus, la chaine des Pyrénées devrait se pavaner. On l’imagine suffisante et fastueuse avec tous ses sommets et toutes ses couleurs changeantes. Mais de spectacle il n’y aura pas, un rideau de lait est tombé sur les artistes, forcément déçus.

Le temps de manger quelques graines, de mettre/d’enlever une couche, la caravane redémarre, et termine sa première étape par une descente dans un pré pentu et malicieux. La fromagerie en bas est fermée, mais du fromage, il y en aura pendant ce séjour. Et à tous les repas, merci aux régimes de Dominique et Jean-Jacques, lequel, en mangeant 100 grammes de fromage tous les matins et en supprimant le superflu, a bien meilleure ligne.
Comme vous l’apprendrez, du fromage, de l’énergie, il en faudra dès demain pour l’étape dite de « soudure et de cohésion » de l’équipe de joëleuses et joëleurs.
« L’ascension du chemin des Vulves » (Freychenet → Refuge Pastoral au Prat Moussu, chez Jacques, plus haut, très haut, sur le Mont Fourcat). Dénivelé négatif : dérisoire. Dénivelé positif : ahahaha.
Mardi 17 août :

Les recettes d’une journée de randonnée parfaite HCE :
1-une équipe qui se réveille tôt, avec un mental de champion olympique au pied du mur.

2-un temps de merde pour pas trainer.

3-un parcours sans trop de croisements pour s’égarer et bien balisé (suivez les vulves gravées sur les arbres).

4-une couverture nuageuse basse pour ne pas perdre de temps à observer les paysages (pour les curieux il y a toujours les moteurs de recherche, ou mieux, l’imagination !).
5-assez de dénivelé pour ne pas se croire en Suisse Normande, dans les Ardennes, ou en Bretagne. (Et pour cause, la pente sera longue et raide à faire braire de jalousie le jeune retraité Mainon).

Voilà, il est même pas 14h30 heures qu’on a bouclé l’étape, tous bien arrivés dans un charmant et chaud refuge pastoral de montagne (mais c’est quelle saison même ??). Notre hôte s’appelle Jacques, comme un air de Santa Claus. Il convoie gracieusement nos bagages dans un improbable 4-4 Lada. Au coin de l’âtre, autour de la cheminée, des chaussettes fument, des ronflements retentissent, des vaches indolantes s’invitent, les nuages paressent, on a bien envie d’écrire des poèmes, de se lire des histoires, de dessiner des lunes, de prier le soleil.

Un peu à l’écart, Stéphane, le grand stratège des montagnes brumeuses, s’interroge. Ses traits sont tirés : est-ce la fatigue ? se demande-t-il si sa fille Pauline tiendra le coup en montagne ? Ou bien élucubre-t-il sur la météo ? Pourquoi consulte-t-il fiévreusement et à toute heure une carte IGN du Haut-Queyras ? A-t-il repéré un maillon faible dans l’équipe ? Quelles leçons va-t-il tirer de cette journée de team building ? Vous le saurez en lisant le prochain épisode :

« Et la lumière fut » (Chez Jacques, Mont Fourcat → Montferrier → Étang de Moulzoune. Dénivelé négatif : humide et un poil long. Dénivelé positif : dans la joie et presque sans dégoupiller).
 Mercredi 18 août :
Il fait toujours pas jour lorsque Stéphane, le visage grave, fait sonner son héraut (votre humble serviteur). La troupe, réveillée bon gré mal gré au son de « tiens, voilà du boudin », se rassemble autour du guide. Un silence de mort plane, et le temps parait suspendu quand la sentence tombe, à la manière d’une guillotine bien graissée. Pas d’ascension du Mont Fourcat ! Nous sommes médusés, abasourdis. Jeff, qui nous a promis une surprise extraordinaire là-haut, est marri.

Las, le nuage poisseux qui nous emprisonne depuis le début doit nous faire entendre raison : à quoi bon entreprendre un sommet qui nous offrirait pour seul et triste paysage un blanc imbuvable ?

Déconfits mais confiants dans les capacités de notre guide à nous conduire vers la lumière, nous entamons une descente au milieu d’une belle forêt de contes et légendes, où tous les carrefours se ressemblent, où il faudra parfois faire demi-tour, et où il sera demandé à Stéphane d’enterrer sa carte du Queyras, l’oubli restant préférable à bien des maux. C’est alors, que, débouchant du couvert des hêtres sur une route bitumée, nous retrouvons le soleil quelques centaines de mètres plus loin, dans un hameau isolé, aussi naturellement que s’il nous y avait donné rendez-vous. Nous sommes arrivés à Peyregade, au pied de la station de Ski des Mont d’Olmes, perchés plus haut tout autour de nous. Le Mont Fourcat doit bien rire à présent ! Mais qu’importe, puisque nous avons retrouvé la Lumière, et, abordée sans salamalecs par une hôtesse impromptue à la voix suave et nicotineuse, sommes convié-es à piqueniquer et à ronfler dans son jardin gracieux.
Les appétits repus et les niveaux refaits, nous trépignons d’impatience pour remonter, peu après avoir traversé le village de Montferrier, vers l’étang de Moulzoune. C’est en suivant le ruisseau qu’il alimente, puis la route et ses grands lacets pour économiser aussi bien nos forces que les joëlettes déjà meurtries par l’accumulation des séjours, que nous envisageons le bivouac de ce soir par une route forestière sympathique mais pentu. Ça cravache, ça transpire, ça jure, ça rouspète, ça chambre, ça s’encourage, ça n’a plus de noix, plus d’eau, ça redouble d’effort et de cœur, pour décrocher un nouveau somment collectif de prestige, l’étang de Moulzoune. Quelle joie !

Le bivouac pousse comme dans un conte des mille et une nuits, et c’est autour du feu que les meilleures histoires et chansons réchauffent nos corps endoloris. L’apéritif est joyeux et abondant, le chili con carne préparé par Dominique notre présidente aimée divin, et les étoiles, invités par le soleil, nous honorent à leur tour par leur divine apparition. Dans une inspiration dont il a le secret, bravant les lois élémentaires de la gravité, Paul dresse un totem tout à côté du feu, vers lequel la troupe s’empressera d’adresser des prières intimes et, comme tout randonneur qui se respecte, d’y accrocher ses chaussettes, caleçons et autres petites culottes humides et fumantes.

Puis, dans un silence merveilleux, nous nous endormons sous les étoiles.
« Faire caca au-dessus des nuages » (étang de Moulzoune → Camping de Montségur). Dénivelé positif : ça va. Dénivelé négatif : technico-merdique, ou merdico-ludique, c’est selon.
 Jeudi 19 août :

Quelle nuit, quel réveil magique ! la brume et le djinn du Feu nichent tout autour, et ne semblent libérer nos âmes qu’à contrecœur, tout doucement. Nous remplissons nos corps d’ondes positives, de tartines beurrées, de café chaud et de thé sucré. Un peu de fromage pour certains. Il y a quelque chose dans l’air, les oiseaux semblent conspirer. Pas besoin de se le dire, on le sent… la journée s’annonce, pour une fois, ensoleillée ! Hourra !
Après des minutes d’incertitude à retrouver les crèmes solaire au fond des sacs, l’équipe est dûment briefé et se prépare, en professionnels avertis, au cul du camion pour viser un nouveau sommet sur la route du soleil. Rigoureuse et soudée par une discipline soviétique, élevée aux graines et en plein air (le fameux label Rouge), notre équipe HCE, boosté par le soleil, fait le boulot ce jour-là. On y est ! Là-haut, les vaches nous offrent une place de choix pour y admirer les sommets environnants : de l’Ouest en regardant le Sud, le malicieux Font Fourcat, le pic Han, le pic Galinat et le Pic saint Barthelemy. À l’Est, le Canigou nous rappelle la proximité de la mer catalane. Le nord est un tapis moelleux de nuages sur lequel nous nous endormons grassement. Il est midi, on a grimpé, on l’a bien mérité.

La touch HCE : tendre une bâche devant une chaise percée, avec vue panoramique sur les montagnes. Les architectes des villas de luxe s’en arrachent encore les cheveux : « Mais commmmmmmment font-ils ???? »

Ce qui suit ne doit pas être montré dans les écoles de Joëlettes. En effet, peut-être ivres de soleil et rendus confiants par la promesse d’une nuit en camping avec trône, la troupe aborde en ordre dispersée une première pente herbeuse en apparence facile. C’est Benjamin qui nous rappelle qu’il est plus rapide, certainement plus rigolo, mais aussi incertain de descendre les quatre fers en l’air.

« Et pourtant il glisse bien », semble murmurer Galilée sur l’épaule de Stéphane. Faisant fi des évidences, notre guide rappelle les règles de sécurité en montagne. Il faudra rouler en ligne et se méfier de cette descente. Rompez !
Ce que personne ou presque n’a remarqué, c’est que Stéphane a remis la main sur la carte du Queyras, qu’il consulte compulsivement (le mystère demeure et restera entier jusqu’à la fin du séjour). Hasard ou coïncidence ? Cette descente divergente et riante sera orchestrée par Jeff et Edouard. Nous quittons alors les pâturages sommitaux pour traverser, rapides comme des rayons de soleil, une forêt haute et majestueuse, un large marécage herbeux, suivie d’un jeu d’orientation entre de hautes fougères. Rechutes, roulades, rigolades, forêts, torrents, vaches, pipi, pause !

Après un ultime sentier qui ressemble à un très gros boudoir imbibé, nous retrouvons, tout en bas de la montagne, la route bitumeuse qui nous conduira jusqu’à Montségur. « C’était finger in the nose » claironne Jeff.

Quelques temps plus tard, à l’heure de l’apéro, le mot de la journée revient à Benjamin, qui accumule plus de gamelles dans sa vie que tous les amis réunis : « Comment j’ai trouvé la descente d’aujourd’hui ? Rapide et efficace ! ». Le temps de vider les bouteilles et fonds de cubi qui encombrent les caisses de notre très aimée présidente intendante, nous nous souhaitons bonne nuit. Qu’il fait bon dormir dehors, au sec, avec la satisfaction du voyage accompli et, niché quelque part dans nos rêves, l’espérance de nouveaux horizons.

« Le départ d’Audrey et Pauline » (Camping de Montségur → Roc de la mousse → Fougax et Barrineuf → Camping de Montségur). Dénivelé positif : finger in the nose. Dénivelé négatif : Born to be wild
- Vendredi 20 août :

La nuit fut calme et entrecoupée de doux ronflements de bœuf, d’ânes, et de crapauds à bob. L’éviction de l’ascension du Mont Fourcat oblige, Stéphane nous donne le plaisir de repérer une nouvelle ballade autour de Montségur, en direction du Roc de la mousse. C’est pourtant avec une pointe de tristesse que nous laissons repartir Audrey et Pauline à la pause ce matin. Cet épisode est une piqûre : le temps des départs et des séparations arrive toujours trop vite !

Il faut pourtant continuer, ravaler ses larmes, porter ses pierres jusqu’au bout, et dévaler un beau sentier merdico-ludique, quelque part au milieu de la forêt du Corret. Plus bas, dans un pli de montagnes où les mousses recouvrent les racines aériennes des arbres, nous retrouvons le ruisseau de l’Hers, encore secret, avant qu’il ne devienne grand. La journée de marche se termine vite, sous le grand soleil et la bonne humeur. Durant la pause pique-nique, René est suspecté d’appartenir à la secte des graveurs de vulve ! Ah mais que veux-tu, quand on a l’esprit mal placé !
Après une bataille d’eau forcément bon enfant, où il faudra pas moins de 3 hommes pour faire goûter le lavoir à Lulovic, notre homme-mule, nous reprenons les voitures à Fougax pour retrouver notre cher chez nous, le camping communal de Montségur. Il est alors 16h4O quand Charles lance les hostilités en répondant à la question « Qu’est-ce que tu veux boire ? » par un laconique « Une bière s’il vous plait ».
S’ensuit un début de soirée endiablée où tous les joëlleuses et joëlleurs s’essayent à différents instruments. Sous le patronage de la lune montante, Steph allume sa guimbarde, et la troupe s’agite, comme dans une transe hindoue !
« Le complot Cathare » (Camping de Montségur → Château de Montségur → Feu de joie). Dénivelé positif : hihihi. Dénivelé négatif : hahaha
- Samedi 20 août :

C’est la der ! Pour des raisons que la raison ignore, cette matinée ensoleillée sert d’excuse à une pétanque où bons et mauvais joueurs coexistent, où les avis divergent, où on encaisse les reproches, où l’on accuse, où on s’emporte, où on rigole, où on s’aime, où l’on retrouve, entre deux éclats de boules, un sens à la vie.

Mais des joueurs manquent. Ils arrivent, enfin, pour refaire la partie, cette fois autour de la table. C’est juré on ne se quittera plus, jusqu’à demain !
Direction le village de Montségur où la caravane HCE, en opération séduction auprès du grand public, remplit les bidons pour lancer l’assaut du château, haut lieu de la résistance Cathare contre les armées du Pape et de France. L’histoire refait surface, à l’endroit où le randonneur sieste honteusement. Invoquée par un vulgarisateur de talent, la terre peut témoigner de saisons de hauts-faits, d’amour et de cruauté : les cathares furent, et disparurent. C’était il y a longtemps direz-vous, mais le souvenir de leur résistance héroïque contre un pouvoir totalitaire voulant imposer un passe religieux, lui, plane encore sur HCE.

Pour pénitence, la troupe est envoyée faire ses ablutions au cours d’eau du Lasset, quelques kilomètres avant Montségur. Le feu de camp qui s’y allume est le témoin de nos dernières confidences. Dans ce récit on n’en apprendra rien ou si peu, car certains mots se consument aussi vite qu’ils nous consument, et ici retranscrits ne feraient que trahir l’émotion d’un moment, d’un regard, d’un rire ou d’une larme.

Il est plus tard, et il fait bien nuit lorsque la montagne consent à s’éteindre, abreuvée de chants et de godets. La caravane s’ébroue une dernière fois, rugit, et repart, galopante et bruyante, dans son écrin de nuit.

Et le suprême guide, perché sur le camion comme un cornac tirant les poils du dos de l’éléphant, de nous montrer une dernière fois le chemin vers nos duvets.
Ce qui arrive le lendemain n’est pas dit dans cette histoire, car c’est déjà un peu la fin. Quand même nous sommes allés, avec les derniers résistants, taper une revanche de baby-foot chez nos géniaux hôtes Annick et Jeff, s’y refaire la nouille autour d’un café chaud-biscuits, puis sommes parti-es siffler quelques bières à Foix, et comme l’envie de terminer avec un mauvais jeu de mots. Mais je ne le ferai pas, c’est bien la première fois.
François.