Vanoise, cru 2016 : et pourtant, ça passe !

17 novembre Reportages

Pour l’avoir dévalé la veille à l’occasion d’un transfert du camion, nous savions, nous trois, ce qui attendait le reste des équipages. O, tout au plus 300 mètres de dénivelé, sans doute pas « la mer à boire », ce qui serait un comble en cette Vanoise pentue ! D’autres avant nous, et aujourd’hui les flots des touristes qui s’instillent partout, ici dans la Vanoise comme l’eau débordante dans la moindre anfractuosité rocheuse, n’avaient-ils pas gravi à maintes reprises ce chemin escarpé ?

Cette vieille route des sauniers n’avait-elle pas été avalée par des norias de mules, transportant leur précieuse cargaison de la Savoie vers l’Italie ? Pourtant, quand au quotidien pour d’aucun d’entre nous, un simple rebord de trottoir constitue un sommet himalayen parce que les jambes ne répondent plus, ce sentier, « pittoresque » à bien des égards, se présente comme un mur infranchissable. C’est alors qu’un miracle doit se produire !

Au 5e jour de notre équipée savoyarde, toutes les difficultés d’un séjour HCE étaient réunies là, sur ces seulement 300 mètres de montée au Col de la Vanoise : étroitesse de la sente, pente prononcée, dalles polies par les passages répétés et lustrées par l’eau de fonte des névés, cailloux et rochers par centaines, que dis-je, par milliers !

Autant de marches montantes, ou descendantes, d’obstacles à surmonter, à contourner par l’unique roue de cet engin jailli du cerveau d’un homme à ranger désormais au rang des « Bienfaiteurs de l’Humanité » pour avoir permis à l’impossible de devenir tout simplement réalité … Ne manquait peut-être, dans cette énumération dantesque, que la falaise à gauche et le ravin à droite, je le reconnais !

Ces difficultés étaient cependant suffisantes pour m’avoir réveillé, inquiet, durant la nuit précédente, sous la voûte étoilée de ces lieux préservés au mieux de l’impact humain, jusqu’à la pollution lumineuse de nos cités douillettes. Chaussant mes yeux myopes de leurs lunettes repérées par tâtonnement, j’avais retrouvé la sérénité et le sommeil dans la contemplation de cette immensité, striée de place en place par le filet lumineux et silencieux de ces « étoiles » venues finir magnifiquement leur course dans notre atmosphère.

Après avoir été rassérénés par un accueil aussi simple que chaleureux, une non moins excellente tartiflette et une nuit tout autant appréciée en ce gîte que l’on ne pourra que recommander (chez Catherine Richard, qu’on se le note !), ceux que la nature avait prédisposés à jouer au rugby comme ceux taillés dans un cure-dent, ceux, novices qui constituaient quand même un tiers de l’effectif, ou ceux que l’on nommera pudiquement par respect pour leur âge avancé, les « plus expérimentés », tous, attelés à une même volonté, rendaient possible l’inimaginable : emmener leur « délicate charge » à ce col qui allait nous ouvrir sur de nouvelles promesses de grand large.

Pour ce faire, la sauce devait prendre : hier encore des individus qui ignoraient tout les uns des autres jusqu’à leur existence, aujourd’hui une véritable équipe de randonneurs, certains en joëlette, d’autres campés sur leurs deux échasses.

Une équipe soudée comme les doigts de la main, trempée comme l’acier le plus résistant dans la sueur de l’effort, chacun complémentaire de l’autre dans la diversité de ses compétences.

Formidable convergence d’énergies et de volontés pour gravir, tour de roue après tour de roue, ce défi majestueux. Nous étions prêts dès lors à affronter un lendemain plus difficile encore : celui de la descente de ce même col !

Car ce n’était pas seulement la lassitude d’une piste interminable de 4X4, longue comme les journées sans pain qui nous attendait, mais le brouillard, la grêle par une température qui flirtait avec le nul pointé ! Et c’est passé, avec la même joie, l’égale bonne humeur, le même enthousiasme et ce même sentiment d’une utopie sobre en voit de se réaliser !

Une fois de plus en effet, le miracle s’était produit. Etaient-ce les saints protecteurs dont les chapelles et autres croix jalonnent le parcours qui avaient agi efficacement ? Oui, peut-être, ou peut-être pas !

Chacun sait désormais, par expérience et avec certitude, que le miracle HCE ne s’opère non pas (seulement) à la force du poignet ou des chevilles qui seuls n’y suffiraient pas ; pas même par la seule technique apprise avec une dextérité consciencieuse, aussi simple soit-elle ; ce miracle-là a surtout besoin de bons mots, d’éclats de rire, d’encouragements des passagers sur leur assise mobile bandés par une implication totale dans l’effort, d’auto-émulation, de fierté de la réussite.

Vous comprendrez peut-être après m’avoir lu que la perspective de devoir s’arracher aussitôt à la montagne et à cette équipe serait la chose la plus difficile du séjour et n’allait pas se faire sans des sanglots d’émotion.

Les seuls mercis et bravos ne réussirent pas à dire combien ces moments furent grands et combien le besoin de revenir et de faire quelque chose ensemble nous taraude déjà.